Le
« burkini » de la discorde LE MONDE | 20.08.2016
L’arrêté anti-« burkini »
apposé à l’entrée de la plage principale de Saint-Jean-Cap-Ferrat
(Alpes-Maritimes). | JEAN CHRISTOPHE MAGNENET / AFP
Editorial du « Monde ». La France est décidément un pays
remarquable. Jusqu’à l’absurde. Capable de s’enflammer, au plus creux de l’été,
une de ces polémiques fiévreuses dont elle a le secret. La « guerre »
du « burkini » qui fait rage depuis quelques jours dans les cités
balnéaires de la Méditerranée en offre une nouvelle démonstration. Pour qui y
aurait miraculeusement échappé, précisons que le burkini – crase pour le moins
paradoxale du « bikini » qui dénude la femme et de la
« burqa » qui la cache intégralement – est une tenue de bain qui
couvre le corps et la tête des quelques musulmanes qui la portent, soit
l’équivalent, à la plage, du hidjab à la ville.
Depuis que le maire de Cannes a interdit, le
27 juillet, le port de cette tenue, les arrêtés municipaux se sont
multipliés. Le burkini est désormais proscrit (en général jusqu’à la fin de la
saison estivale) dans une douzaine de communes des Alpes-Maritimes, dont Nice,
Menton, Cannes, Villeneuve-Loubet…, et cinq du Var, dont Fréjus,
Sainte-Maxime ou Le Lavandou. Sans oublier Le Touquet, dans le
Pas-de-Calais ou Sisco, en Haute-Corse, où l’on a fait, à tort, du burkini
la cause d’une rixe récente.
Le débat fait donc rage. Les maires qui ont
pris ces arrêtés invoquent principalement deux motifs étroitement liés :
le trouble à l’ordre public que provoquerait – ou pourrait provoquer –
cette tenue, considérée comme un vêtement religieux ostentatoire, et le respect
du principe de laïcité. Leurs détracteurs, notamment la Ligue des droits de
l’homme et le Collectif contre l’islamophobie en France, estiment au contraire
que la laïcité ne s’impose pas aux individus dans l’espace public (sauf pour le
port du voile intégral, interdit par la loi) et que ces interdictions
constituent donc une atteinte à des libertés fondamentales, notamment celle de
se vêtir à sa guise.
On verra ce que la justice en dit.
Sans attendre, les responsables politiques se sont précipités dans la
controverse. Le 17 août, dans un entretien à La Provence, le
premier ministre a dit « comprendre les maires qui, dans un
moment de tension, ont le réflexe de chercher des solutions, d’éviter
des troubles à l’ordre public ». Et Manuel Valls ajoutait
que « le burkini n’est pas une mode. C’est la traduction d’un projet politique,
de contre-société, fondé sur l’asservissement de la femme ».
Beaucoup à droite (François Baroin, François
Fillon, Christian Estrosi, Valérie Pécresse…) lui ont emboîté le pas, ainsi que
la présidente du Front national, Marine Le Pen.
SYMPTÔME
Le burkini mérite-t-il un tel émoi ? On
ne le pense pas. Mais cette affaire est, hélas, révélatrice des tensions qui
minent la société française, traumatisée par les attentats djihadistes qui la
frappent depuis deux ans.
Elle est le symptôme d’une société assez
troublée par l’islam pour être tentée d’adopter à l’égard des
musulmans des réglementations spécifiques, voire discriminatoires :
aujourd’hui le burkini, demain, si l’on suit quelques ténors de la droite,
l’interdiction du voile à l’université ou le refus des menus de substitution
dans les cantines scolaires.
Mais la polémique est également le symptôme
d’une communauté musulmane qui, du moins dans sa composante radicale, refuse
d’admettre le caractère ostensible, voire ostentatoire, que constitue une tenue
comme le burkini, et n’y voit qu’une preuve d’ostracisme. C’est de ces
crispations réciproques qu’il faut à tout prix sortir.
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