mardi 30 mai 2017

LE TGV CHANGE DE NOM



SNCF : Cacophonie et apologie pour l’offre «InOui»   Par Franck Bouaziz


Malgré une communication ratée sur le changement de nom de ses offres TGV, l’entreprise ferroviaire espère séduire 14 millions de voyageurs supplémentaires sur trois ans et limiter la concurrence des compagnies aériennes à bas coût. «Inoui, ce changement de nom», «Monsieur Pepoui rendez-nous le TGV», «la SNCF au pays de Oui-Oui»… Tout le week-end, les internautes se sont déchaînés sur Twitter contre la nouvelle marque choisie par la compagnie ferroviaire pour ses trains à grande vitesse. Le boss de la SNCF, Guillaume Pepy, avait prévu de tout dire et tout expliquer de ce «rebranding» surprise lors d’une conférence de presse ce lundi. Las, une fuite dans la lettre spécialisée Mobilettre, reprise par le Parisien, a pris de court les dirigeants de l’entreprise ferroviaire. Et ce lundi, on les a donc vus ramer, puis développer des trésors de persuasion, pour expliquer le b.-a. ba de cette nouvelle identité nominative et graphique. «InOui» avec le premier «I» à l’envers s’il vous plaît, c’est donc le nouveau nom qui sera progressivement apposé sur tous les trains à grande vitesse, à partir du 2 juillet, en commençant par la ligne Paris-Bordeaux. Au grand dam des fidèles usagers du TGV, manifestement très attachés aux trois lettres qui sillonnent la France depuis 1981… Revue de détails de toutes les questions que pose ce «bad buzz»…

Quelle mouche a donc piqué la SNCF pour rebaptiser ses TGV ?

«Nous voulons donner mieux et plus à nos clients, nous voulons qu’ils nous choisissent», martèle Rachel Picard la directrice générale chargée de la branche voyage qui s’est fendue d’un tweet enthousiaste sur le même thème («Avec OUI.sncf nous affirmons notre intention de dire OUI à tous les voyages, tous les clients et toutes les envies. #inOUI»). Dans les trois ans qui viennent, le transporteur ferroviaire entend conquérir 14 millions de voyageurs supplémentaires sur ses lignes à grande vitesse, qui ont attiré 122 millions de passagers l’an dernier. La séduction du client passerait donc par une politique de marques tournant autour de l’onomatopée «Oui» (Ouigo, OUI.sncf, Ouibus et donc InOui) : «Une promesse aspirationnelle dans laquelle chacun se retrouve», dit carrément le dossier de presse.
Il faut que le client tant désiré s’y reconnaisse, ce qui selon les dirigeants de la SNCF ne serait pas le cas aujourd’hui. «Il fallait ranger la chambre», martèlent l’un après l’autre les membres du comité exécutif dans un respect absolu des éléments de langage. Un chiffre résume à lui seul la problématique de la SNCF. L’an dernier le trafic sur les lignes à grande vitesse n’a progressé que de 1,9 %, soit moitié moins que pour les trains de banlieue. Il est donc urgent de trouver de nouveaux voyageurs, d’où ce ravalement de façade.

Concrètement, comment ça marche, le concept «OUI» TGV ?

Le TGV low-cost ne change pas de nom, il s’appellera toujours OUIgo. L’ex-TGV classique mue et devient donc «InOui». Et il devrait «en proposer plus pour le même prix», assure Guillaume Pepy. Il y aura par exemple un service de voiturier en gare (payant) pour ceux qui ne veulent pas chercher un parking. Il faudra dorénavant présenter son billet avant de monter dans le train comme dans les aéroports. «Ce qui laissera aux contrôleurs plus de temps pour s’occuper des clients et même leur souhaiter bon anniversaire, puisque nous voulons les cerner au plus près», précise Rachel Picard. Le wi-fi sera, lui, gratuit tout au long du voyage. Louable attention à modérer néanmoins quelque peu. D’après les premiers retours de voyageurs sur la ligne Paris/Lyon où le wi-fi est testé, la liaison permet certes de consulter ses e-mails, mais sûrement pas de regarder en streaming le dernier épisode du Bureau des légendes… Quant au contrôle des billets sur le quai, gare aux retardataires ! Les agents placés à l’extérieur des trains auront aussi le pouvoir de refouler ceux qui veulent monter dans les rames à la dernière minute.
Enfin, pour les habitués du site VoyagesSNCF.com, il va falloir modifier la barre des favoris, puisque le site devient OUI.sncf. A priori rien ne justifiait le relookage de ce qui est aujourd’hui le premier site marchand de France avec 86 millions de billets écoulés… Mais la volonté d’uniformiser la marque l’a emporté. La nouvelle version du site s’enrichit également d’un moteur de recherche qui, à partir d’un prix de billet souhaité, fouille dans le maquis tarifaire et envoie une alerte dès que la requête est satisfaite. Histoire d’économiser les pas perdus dans les gares, le voyageur trouvera également sur Oui.SNCF le numéro de son quai, une heure avant le départ.

Un changement de nom dicté par une concurrence toujours plus menaçante ?

Fini le temps où les lignes à grande vitesse se retrouvaient en situation de quasi-monopole sur les grands axes entre Paris et les métropoles régionales. Après un temps d’hésitation, Air France a décidé de rendre coup pour coup. Ainsi, à partir du 2 juillet, Bordeaux n’est plus qu’à 2 h 30 de Paris. Pour autant, la compagnie aérienne nationale conserve ses 18 rotations par jour et se bat sur le terrain des prix avec des premiers prix à 56 euros l’aller simple. Sur les destinations de Toulouse et de Nice, le transporteur low cost Easy Jet s’ajoute à l’offre d’Air France. Enfin pour les budgets plus serrés, la libéralisation du marché des autocars voulue par la loi Macron a fait émerger une nouvelle concurrence depuis deux ans. La SNCF a bien tenté de lancer Ouibus, Mais cette filiale reste déficitaire. Cerise sur le gâteau, le covoiturage séduit de plus en plus les jeunes.
Pour répondre à l’offensive de BlaBlaCar, TGV Max, une carte d’abonnement pour les moins de 27 ans est vendue depuis trois mois. Manque de chance, elle est victime de son succès. Plus de 90 000 cartes ont été vendues et les réclamations des usagers vont grandissant contre le manque de sièges dans les trains, notamment durant les week-ends.

Quelles sont les faiblesses contre lesquelles la nouvelle appellation ne pourra rien ?

Déjà écornée par une politique tarifaire à géométrie variable et la grogne contre les retards, la marque TGV a été abîmée au cours des derniers mois. L’arrêt intempestif de la filiale low-cost IDTGV, qui proposait un abonnement avec voyage illimité pour tous les âges, a nourri un sérieux ressentiment. A tel point que la SNCF a fini par faire machine arrière et proposer une prolongation de deux ans aux titulaires de cette carte.
Pour conquérir de nouveaux clients, le transporteur ferroviaire ne peut plus lancer de nouvelles lignes. Ses finances ne le lui permettent pas. La dette de l’entreprise frise les 50 milliards d’euros et le coût d’un kilomètre de voie à grande vitesse oscille entre 18 et 25 millions d’euros. Les deux nouvelles lignes Paris-Bordeaux et Paris-Rennes ont d’ailleurs été concédées au secteur privé. Une première ! C’est un consortium d’entreprise du BTP, emmené par Vinci, qui les a financés et construites. Il facture ensuite, un droit d’utilisation à la SNCF. Au final, le voyageur paie un supplément sur chaque minute gagnée. Entre Paris et Bordeaux, le prix du billet devrait donc augmenter de 6 euros à 10 euros.

Quel danger majeur guette la SNCF ?

Les voyageurs s’en réjouiront tout autant que le transporteur national s’en inquiète : le transport ferroviaire est l’un des derniers bastions non ouverts à la concurrence et cela va changer. Exception faite de Paris-Strasbourg et des liaisons internationales, la SNCF est aujourd’hui en position de monopole sur le rail français. Mais cette situation confortable pour la compagnie de chemin de fer nationale devrait normalement prendre fin, à titre expérimental, dès 2018 sur les lignes régionales. Dans le Sud-Est, des opérateurs italiens pourraient venir faire une incursion sur le marché français. Et en 2020, ce sont les grandes lignes - et donc le TGV - qui devaient être confrontées à la concurrence. Selon un dirigeant de la SNCF, la Deutsche Bahn serait dans les starting-blocks pour attaquer le marché des lignes les plus rentables comme la sacro-sainte Paris-Lyon.
Visiblement, la question taraude le PDG Guillaume Pepy, qui justifie le relooking de sa maison par ces changements à venir dans le paysage concurrentiel : «Mon obsession est que l’on ne se retrouve pas dans le mur quand la concurrence va arriver, comme ce qui s’est produit pour les compagnies aériennes traditionnelles qui n’ont pas vu venir les low-cost.» Mais, en son temps, Air France n’avait pas été jusqu’à repeindre la carlingue de ses avions aux couleurs du «Oui».

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